À la station de tram Mairie de Cenon, on retrouve des habitués. « Comme quoi on n’a pas besoin d’un Club Med’ ! » plaisante Bernadette, randonneuse urbaine talençaise, grande fan des Lignes Droites. « Il suffit d’aller planter la tente à Lormont ou Cenon ! » Pas de camping prévu aujourd’hui dans notre parc naturel non classé, mais de la rando, assurément !
Voir la carte (points et tracés en bleu marine)
récit et photos Françoise Duret
Le coteau Cenonnais, roc alternatif
Jordan, éclaireur de l’Alternative urbaine, sera le guide de la première partie de l’ascension vers les « sommets » cenonnais. Cette association propose des balades dans des quartiers métropolitains a priori peu « glamours » pour le commun des touristes -Belcier, Bacalan, Cenon, La Bastide, la Benauge – mais en pleine mutation. Elle contribue à changer l’image des quartiers en les faisant découvrir par ce qu’ils ont de plus vivant, leurs habitants !
Comme les nouveaux venus, Nicole et Christian, Jordan habite la résidence Henri Sellier, dernière étape de notre excursion. Il connaît sur le bout des doigts son histoire de Cenon qu’il partage avec gourmandise avec les participants.
Quand Bordeaux convoitait Cenon
On attaque la colline par le chemin des Carrières, qui se glisse en pente douce derrière la mairie depuis le bas de la côte des Quatre Pavillons, jusqu’au pied d’une falaise de calcaire cachée dans le coteau. Les tables de pique-nique sont fatiguées mais l’endroit a du charme !
Jordan, pas essoufflé pour deux sous, n’en a pas fini avec l’histoire de Cenon : après la biche, voici les vignes qui couvraient le coteau et les palus de la Tour Blanche, la branche de cyprès que les négociants clouaient sur les tonneaux pour attester de l’authenticité du vin de la rive droite… et puis l’annexion de la Bastide par la ville de Bordeaux en 1865 qui fit perdre une part substantielle de son activité économique à Cenon, et passer de 8000 à 800 habitants ! L’info coupe le souffle, mieux que la montée du chemin des Carrières !
La Rive Droite, terre de contrastes !
On reprend le chemin, mais transversalement cette fois, pour longer le coteau en pleine forêt avant de commencer l’ascension du chemin de Pichelièvre, au dessus des alarmes d’ambulances et des moteurs d’autos. Pour le coup, ça grimpe fort. On n’entend plus que les bruits des pas et – aussi, un peu – des mâchoires des gourmands qui picorent des mûres pour se donner du courage.
« Tu transpires, Christian ! »
« Non, c’est les mûres. Le buisson est mouillé ! »
70 mètres plus haut, c’est l’étonnement : le chemin aboutit derrière le centre des impôts, en plein quartier Palmer. Nicole a un peu souffert mais son sourire semble dire « Même pas mal ! » Un bol d’air et c’est reparti ! On prend à rebrousse-poils la rue Émile Zola, en s’attardant devant les fenêtres vertes qu’offrent les arbres sur l’agglomération. Le tracé de la ligne haute-tension fait carrément un boulevard avec vue sur La Bastide !
Entre liqueur et eau de Canelle
La rue se fait plus étroite en passant sous l’ancienne passerelle des usines de la Vieille Cure. Jordan nous éclaire : « Ici, on a fabriqué jusqu’en 1987 une liqueur dont la recette, secrète, fut créée par les moines d’une ancienne abbaye pour donner du tonus aux malades et aux marcheurs de Compostelle. » À deux pas, la source Canelle n’est pas plus potable, mais offre une parenthèse de fraîcheur. La RiveDroite est un pays de sources bondissantes ou cachées. Au 19ème siècle, à raison de 160 000 litres / jour, elle était la source d’alimentation en eau potable de la Bastide. Les marcheurs.ses brûlent d’y entrer mais le site n’est pas sûr.
Un coin secret
Au bout de la rue Émile Zola, la place Bellevue porte bien son nom. Toute l’agglomération se déroule aux pieds du marcheur fatigué mais heureux.
« Vous aurez maintenant un coin secret pour voir tous les feux d’artifice ! » annonce Eve.
En redémarrant vers le cimetière on admire au passage la face cachée de Cenon : le quartier Bellevue, ses maisons anciennes, un pré immense à fleur de coteau où broutent un cheval et des moutons ! Une voiture passe et ramène les randonneurs à la réalité : on est bien au 21ème siècle !
Au cimetière Saint-Romain, on reprend un coup de panorama dans les mirettes.
« Mais si, Christian, on voit Sellier ! Regarde, la 3ème tour ! ».
« Il est bien ce cimetière ! » apprécie un marcheur. Il est aussi très pentu et Julien Briton, responsable des espaces verts de la ville, dévoile la complexité de l’entretien, pour aménager la partie basse par exemple – uniquement à la main – ou pour conserver les cyprès sur la pente. Dehors, près de l’église magnifiquement rénovée en 2003, 38 logements s’élèveront bientôt jusqu’au R+3. Les projets de construction fourmillent. À Cenon, plus petite commune de la métropole, le foncier disponible est rare.
Forces et faiblesses d’un beau vieux parc
Des cyprès, il y en a aussi au parc du Cypressat tout proche, évidemment. Ils ont été préservés ou réintégrés dans le cadre du programme d’aménagement du parc, dans les années 2000, sur ce qui étaient alors des prairies sauvages.
Aujourd’hui, les 17 hectares de ce parc étagé sont ouverts au public mais toujours « peu signalés, parce que la ville préfère les réserver à des promeneurs volontaires, pour éviter la pression qu’il peut y avoir par exemple à Palmer, » explique Julien Briton.
Un site de promenade remarquable, entre nature brute et cultures apprivoisées, à découvrir chaque 1er vendredi de juin avec la Fête du Vin au Vert.
Comme les sources qu’il évoque, Julien Briton est intarissable. Et passionnant lorsqu’il parle de l’entretien et de la sélection des végétaux dans ce site ancien et complexe, ou du réseau de professionnels des espaces verts de la rive droite, qui font vivre un plan de gestion commun.
« La faune et la flore n’ont pas de frontières administratives ! » Le parc des coteaux ce sont tout de même 400 hectares de verdure à préserver et à faire vivre ! « Plus fort que Manhattan ! » signale Eve.
Germaine germe !
Sortie des artistes par le petit portail en fer forgé de la côte Galliéni qui mène le groupe – moyennant une traversée de boulevard – tout droit chez Nathalie Schwab et l’association Germaine Veille, rue Chanzy, dans le quartier Gambetta-Sellier. Cette asso a fait le pari gonflé de créer un jardin en permaculture en plein secteur d’échoppes. « Il y a un an et demi, il n’y avait ici que des lauriers palme et une pelouse » se souvient Nathalie. Aujourd’hui les végétaux sont luxuriants, les insectes vibrionnent, les couleurs explosent, les légumes abondent dans ce jardin où tout se recycle, tout se recrée. « Les sauterelles et les vers luisants sont de retour. Ça va vite ! »
Christine, une marcheuse, a tout capté : « le basilic se bouture ! » La permaculture va essaimer…
Henri Sellier, résidence d’artistes
Germaine Veille intervient aussi au jardin partagé de la résidence Henri Sellier. Eva Sanz, photographe, de l’association Obaoba, et Céline Dotigny, directrice culturelle de la ville de Cenon, y attendent le groupe pour le pique-nique. Depuis trois ans, Sellier et ses trois tours de 108 logements sont le théâtre d’interventions artistiques (La Fronde) menées par Obaoba avec les locataires. « Nous avons invité des artistes -clown, plasticien, danseur…- et suscité des rencontres. Nous cherchions à comprendre pourquoi dans ce quartier autrefois très vivant il ne se passait plus rien, et à aider les habitants à porter un regard positif sur leur lieu de vie. » Le projet se termine bientôt dans sa forme actuelle mais trouvera des suites sur le projet potager.
En parlant de légumes, la marche ça creuse, et on rêve de goûter les tomates cerises du jardin et le sirop de menthe concocté par Nathalie Schwab. Made in Cenon et savoureux !
Pour aller plus loin
L’Alternative urbaine Bordeaux
Texte et photos Françoise Duret
Ligne(s) Droite(s), balades en compagnie…
Proposées par le GPV Rive Droite, les Ligne(s) Droite(s) sont 8 balades, en compagnie d’experts et d’habitants, pour faire découvrir au public de l’Été métropolitain la Rive Droite, son patrimoine, ses paysages, ses bons coins, ses initiatives et projets, son histoire, ses histoires….
Dans le cadre de l’Été métropolitain 2018 programmé par Bordeaux métropole, le GPV Rive Droite propose Ligne(s) Droite(s) : 8 balades en compagnie d’experts et d’habitants qui guideront les marcheurs pendant quelques heures à la rencontre des parcs, du patrimoine ancien et contemporain, des secteurs de projet urbain et des gens qui font bouger la Rive Droite à Bassens, Bordeaux-Bastide, Lormont, Cenon et Floirac.