La Rive Droite vue d’ailleurs. En partenariat avec Aqui.fr, un regard sur 10 ans de projets de rénovation urbaine sur le territoire du GPV Rive Droite.
AQUI ! est l’un des médias en ligne les plus pertinents à l’oeuvre sur le territoire aquitain. De 2008 à l’automne 2010, la Rive Droite de Bordeaux et son Grand Projet des Villes ont fait l’objet d’une série d’articles retraçant les enjeux, les projets, les réalisations et le bilan des initiatives menées dans le cadre de ce grand travail de rénovation urbaine. A l’invitation de la rédaction d’AQUI ! , nous vous proposons de relayer cette série d’articles sur ce blog afin de conserver ce moment de l’histoire de notre territoire.
Avec le Grand Projet de Ville et le Renouvellement Urbain, La Rive droite est en pleine mutation. Les villes de Lormont, Cenon, Bassens et Floirac, où se concentre une grande part de l’habitat populaire de l’agglomération bordelaise, voient leur physionomie changer. Au programme : destruction de tours HLM, création de nouvelles rues, extension du tramway, construction de nouveaux logements, de nouvelles écoles et équipements culturels…
Cela ne fait que commencer ! 600 millions d’euros sur 6 ans : c’est l’énorme somme investie sur les Hauts de Garonne pour « changer la ville » et introduire de la « mixité sociale » à l’horizon 2012. L’effort est considérable. Tout le monde s’y met : l’Etat, la CUB, les conseils Général et Régional, les villes concernées, les organismes HLM et même l’Europe.Mais concrètement, comment cela va-t-il se passer ? Vivra-t-on mieux dans ces quartiers qui ont pendant longtemps eu mauvaise réputation ? Y trouvera-t-on plus facilement un logement de bonne qualité à un prix accessible ? Des emplois ? Une qualité de vie semblable à celle du reste de la CUB ? Aqui.fr a voulu faire le point sur ce vaste chantier en rencontrant élus, urbanistes, responsables du projet mais aussi les premiers concernés, les habitants des Hauts de Garonne. Au fil des semaines, de nouveaux articles enrichis des réactions des lecteurs, seront mis en ligne pour tenter de suivre, pas à pas, les mutations de la Rive droite.
GPV et ANRU : deux sigles et une nouvelle façon de transformer la ville
Après la période de construction des « grands ensembles » HLM dans les années 1960 et début 1970, les « banlieues » sont devenues des lieux où se sont progressivement concentrées les difficultés sociales. Depuis 25 ans, les différents gouvernements tentent d’apporter des solutions au mal vivre des quartiers populaires par des politiques ciblées, qui, il faut le reconnaître, n’ont jamais été à la hauteur des problèmes. Lancés en 1999 par les socialistes et dotés en moyens supplémentaires en 2003, suite à la loi Borloo sur la cohésion sociale, les Grands Projets de Ville (GPV) ont l’ambition de donner un nouveau visage aux cités HLM. Pour ce faire deux axes sont privilégiés : renouveler en profondeur le logement et développer les équipement collectifs. C’est dans ce cadre qu’a été signée, en 2005, la convention du GPV des Hauts de Garonne avec l’Agence Nationale du Renouvellement Urbain (ANRU) qui représente l’Etat. Les premières opérations ont déjà eu lieu à Bassens et à Lormont-Carriet, ce qui permet d’avoir un premier recul sur ces opérations. Des travaux sont également en cours à Cenon (destruction des tours du Grand Pavois dans le quartier du 8 mai 1945, construction du pôle des cultures du monde à Palmer), mais les quartiers qui vont le plus changer sont le Bas-Floirac et Lormont-Génicart, quartier qui représente à lui seul 40 % du GPV et où aqui.fr a particulièrement posé ses valises.
Le relogement des familles
Le principal axe d’intervention du GPV passe par le logement, avec la destruction d’une dizaine de tours de 18 étages et la reconstruction d’immeubles plus petits. Ce qui signifie un grand changement de vie pour plus de 2500 locataires ou familles : changer de logement n’est jamais facile et génère angoisses et appréhensions. Dans les cités, les rumeurs circulent, on échange des informations, on compare les situations, mais dans les faits, chaque cas est particulier. Pour certains, c’est l’opportunité de refaire sa vie, de quitter ces quartiers qui ont été pendant longtemps stigmatisés et, parfois, de changer de ville. Mais la majorité des locataires (environ 70 %) veulent rester sur place, dans une commune à laquelle ils sont attachés, où ils ont leurs amis, leur famille, où leurs enfants vont à l’école et ont leurs copains. De plus, pourquoi aller ailleurs alors que, justement, le quartier est en train de s’améliorer ?
Tous les cas sont particuliers : certains quittent un appartement dégradé et mal isolé pour du neuf, ce qui répond à une véritable attente, tandis qu’on propose à d’autres des logements, certes neufs, mais plus petits et plus chers alors qu’ils habitaient dans des appartements vastes et lumineux… Les familles nombreuses sont particulièrement inquiètes car il y a peu d’appartements de 5 ou 6 pièces qui seront reconstruits et les pavillons en logements sociaux se comptent sur les doigts de la main.
Des logements sociaux un peu plus chers…
En théorie, les loyers des logements neufs seront équivalents à de l’ancien. Dans les faits, les nouveaux modes de calcul du loyer principal et des différentes charges peuvent entraîner quelques surprises. Ainsi, un T2 dans de l’ancien revenait à 375 euros par mois toutes charges comprises, y compris le chauffage et l’eau. Dans du neuf, le loyer principal s’élève également à 375 euros, mais le chauffage et l’eau ne sont plus compris : les locataires doivent s’abonner au gaz et à l’eau et payer les factures, ce qui représente un coût supplémentaire d’au moins 60 euros par mois. Au final la facture peut être lourde, même si cette « individualisation des charges » est jugée plus équitable par les bailleurs sociaux qui insistent aussi sur la qualité de l’isolation thermique et phonique des nouveaux bâtiments.
…et pas plus nombreux
L’objectif de l’Agence Nationale pour la Rénovation Urbaine est, comme son nom l’indique, de rénover et non pas rattraper le retard pris depuis des années dans la construction de logements HLM (lien : Contrepoint). Comme au niveau national, les opérations de démolitions-reconstructions sur les Hauts de Garonne se traduiront, au niveau des logements sociaux, par un solde nul : 2 535 logements seront démolis et 5164 logements construits, dont la moitié seulement seront des logement sociaux. Il n’y aura donc pas, sur les Hauts de Garonne, un logement social de plus en 2013 qu’aujourd’hui. Cela semble assez logique : on réclame de la mixicité sociale et les quartiers du GPV ont déjà un taux de logement social qui atteint les 70 %. Il faut donc construire des logements sociaux ailleurs sur la CUB pour les 12 000 familles qui ont fait une demande de HLM. La question est où et quand ? Bien peu de programmes sont prévus, y compris dans les villes qui n’ont pas atteint les 20 % de logement sociaux imposés par la loi SRU, comme Saint-Médard-en-Jalles, Saint-Aubin-de-Médoc, Artigues ou… Bordeaux.
Plus de mixité sociale
Les logements créés seront des logements intermédiaires, à des prix proches de ceux du marché, ou en accession à la propriété. Ils sont censés être habités par les classes moyennes que l’on cherche à faire revenir sur la Rive droite. En mélangeant les populations et en évitant la concentration des populations les plus démunies, on cherche ainsi à restaurer une meilleure image de ces villes, à permettre une plus grande diversité culturelle et sociale dans les établissement scolaires. Vu la faiblesse de l’offre de logement sur la CUB, ces logements intermédiaires devraient facilement trouver preneurs, surtout pour les accessions à la propriété. Selon le directeur du GPV, « Il y a une forte demande d’accession sur la CUB et il y a peu d’offres à coûts maîtrisés (c’est-à-dire autour de 2000 euros le M2). Par exemple à Floirac-Richelieu, Clairisenne est en train de faire une très bonne opération financière, ça se vend très bien. » Le point plus délicat concerne les PLS, les locations intermédiaires à destination des classes moyennes. Selon E. Parin, « cela correspond à un créneau du marché mais il n’en faut pas trop car la tendance est au développement de l’accession à la propriété. »
Deux questions cependant : est-ce que les classes moyennes, en tant que locataires, vont rester durablement dans ces quartiers ou seulement y résider un temps avant d’aller acheter ailleurs, comme cela a déjà été le cas dans les années 1970 ? Et si oui, la mixité sociale suffira-t-elle à résoudre tous les problèmes sociaux (chômage, pauvreté) que rencontrent de nombreux habitants de ces quartiers ?
Plus d’équipement collectifs
C’est un des points forts du GPV. Une dizaine d’écoles vont être agrandies, améliorées, certaines seront créées dans de nouveaux quartiers. A Lormont, le Parc de l’Ermitage, magnifique espace vert de 30 hectares entre la Garonne et la falaise a été remodelé. Des cheminements piétons relient ainsi le Vieux-Lormont à la station de tram de la Buttinière. Des équipements culturels sont également prévus : la « M.270 », la Maison des Savoirs partagés de Floirac a été inaugurée en janvier, un pôle culturel et de spectacle dédié aux cultures et musiques du monde (avec deux salles de concert de 1200 et 650 places, des locaux de répétitions, etc.) est en construction à Cenon, une médiathèque est programmée à Lormont, etc.
La question de l’emploi et des commerces
Des activités tertiaires (essentiellement des bureaux) sont prévues dans certaines zones comme le Bas-Floirac ou Carriet et la Ramade à Lormont. Elles bénéficieront du dispositif ZFU, une « zone franche » qui permet à l’employeur de payer un peu moins de charges et d’impôts. L’effet de ces zones franches sur le taux de chômage local reste néanmoins assez faible. Les causes du chômage, très important sur les Hauts de Garonne (il est par exemple de 27 % à Génicart) sont plutôt structurelles : personnes peu qualifiées, trop peu diplômées ou n’ayant pas de moyens de transport…
En ce qui concerne le commerce, les ambitions sont très modestes : il s’agit, selon E. Parin, de « préserver l’existant ». Il y aura quelques baux commerciaux proposés au bas des résidences. Reste à savoir s’ils seront effectivement loués par des commerçants… et rentables. Un projet d’extension du centre commercial Carrefour des 4 Pavillons est en cours (+ 6 500 m2 de surface commerciale). En revanche, une fois les tours des Cîmes et de Génicart 3 détruites (soit 600 logements au total), on peut se poser des questions sur l’avenir du Centre Commercial Leader Price de la Poste de Génicart.
Des quartiers désenclavés
Depuis 2003 et la mise en service du tramway, les Hauts de Garonne sont mieux reliés au centre de Bordeaux et au reste de la CUB. La liaison est physique mais aussi psychologique : ce ne sont plus des numéros de lignes de bus étroitement associées à des quartiers jugés infréquentables mais une ligne de tram qui est partagée par tous, de Floirac (et bientôt Bassens) jusqu’à Mérignac. Avec le tramway, la CUB s’incarne véritablement dans un bel objet qui est aussi un bien commun… Mais le tramway ne résout pas tous les problèmes de transport, notamment les flux domicile-travail. Pour beaucoup d’habitants de la Rive droite qui travaillent dans le bassin d’emploi de l’ouest de Bordeaux, la voiture reste le seul moyen de transport. A quand un tram, des « busway » sur le pont d’Aquitaine ou même… une piste cyclable ?
Le visage de la Rive droite change
Le GPV des Hauts de Garonne s’inscrit dans le rééquilibrage de l’agglomération bordelaise, qui longtemps a délaissé sa rive droite. Avec le nouvel essor de la Bastide, le tramway qui passe le Pont de Pierre, le renouvellement urbain des Hauts de Garonne va indubitablement donner une identité plus homogène aux deux rives de la CUB. Bordeaux, qui n’a jamais été une ville ouvrière, se « moyennise » de plus en plus. Et ce n’est pas un hasard si tous les élus locaux de l’agglomération mettent en avant l’écologie et la qualité de la vie pour attirer entreprises du tertiaire et familles des classes moyennes en quête d’espace. Il ne faudrait pas que cette nouvelle naissance se fasse au détriment des plus modestes ou des familles nombreuses qui vivent, de longue date, sur la Rive droite et qui craignent d’avoir désormais du mal à se loger. Pour donner ce nouveau visage à la ville, tout le monde a son mot à dire, et les désirs de chacun doivent se confronter aux contraintes économiques, à l’histoire du territoire. Décidément, l’urbanisme est aussi une question politique.
Vincent Goulet – publié sur aqui.fr le 21/04/2008